Acné

 

Fille d’Aphrodite et d’Héphaïstos. Implacable Déesse de honte – rougeurs, kystes et comédons ! Les boutons disgracieux s’épanouissent sur les visages, les torses et les dos des enfants. Cruelle acné, imposture de la nature qui spolie ses enfants, comme ils te haïssent, tes victimes ! À coups de compas, au cutter, aux doigts, on tente de t’extirper de notre corps, mais Ô comme tu reviens plus vivante et plus rayonnante, Ô comme tu fais miroiter la peau d’huile sébacée. Cette Déesse exerce une désolante tyrannie sur les amours collégiennes : – qui n’a pas ajourné sa déclaration d’amour à la belle parce qu’on se sentait un comédon sur la joue, voyant comme un gyrophare, douleur sourde et pernicieuse ? – qui n’a pas décidé de remiser son amour pour cette belle demoiselle soudain défigurée par une éruption acnéienne ?

À la piscine, un dos ravagé par la mauvaise Déesse suscitera l’horreur, le dégoût et la crainte : un tel fléau, une telle malédiction ne peut-elle se transmettre ?
Il faut admettre qu’Acné est au cœur de toutes les superstitions collégiennes. Un bouton purulent, c’est la juste rétribution pour une pensée salace ; un kyste incrusté, c’est la matérialisation d’un remords ; une poussée d’acné, c’est une malédiction jetée par une ennemie sournoise et douée de talents chamaniques ; un nez couvert de points noirs, c’est la Déesse elle-même qui distille en notre appendice les humeurs bilieuses dont elle a le secret.

Pour se débarrasser d’Acné, il faut se confier aux dermatologues dont le nom grec indique la spécialisation dans les problèmes de peau. Les plus consciencieux exécuteront des mouvements hermétiques, leurs mains trembleront sous la pompe du chant, leur voix susurrera des exorcismes étranges « follicules sébacés, hormones, acné polymorphe, claréarédryl, onguents, savons, vitamine A, B, soleil, savon surgras, purification de la peau, androgènes, propionibacterium acnes ! », ils s’agiteront comme des possédés et parleront de vous à la troisième personne. Les dermatologues qui n’agissent pas ainsi sont des charlatans. À dire vrai, il faut du courage pour consulter.

Mais que les enfants se rassurent, il faut bien qu’Acné passe et elle passera, comme tous les rites initiatiques qui mènent à l’âge adulte. Elle s’annonce, elle se montre, puis elle se rendort. Que les enfants songent seulement à la disgrâce d’Héphaïstos, le père mythique d’Acné, qui fut projeté du mont Olympe, défiguré et estropié à vie, ils comprendront que leur honte est bien futile. Ne déprimez pas, vous, infortunées victimes de la vilaine Acné, montrez-lui votre opiniâtreté à la vie et à l’amour – alors toutes les grâces d’Aphrodite vous seront offertes.

 

 

plume forum

 

© Louis Butin & cercle DPMC