Le rapporteur est cet instrument de mesure des angles en forme de demi-lune qu’on se doit d’apporter en cours de mathématiques quand vient la saison de la géométrie. Gradué de 0 à 180° le long de sa bordure convexe, il aidera les uns à mesurer, les autres à construire des figures géométriques. Il servira à tracer des traits maladroits quand manque la règle, en mettant bout à bout ces embryons de traits que permet le bord droit du rapporteur… Les élèves dotés d’une imagination débordante fabriqueront des prototypes d’avions futuristes en ajustant par exemple un rapporteur à un stylo, fixant ces ailes rondes au rabat du capuchon, parfois grâce à un élastique – ce vaisseau évitera des missiles crayons, tirera ses rayons laser dans les yeux du voisin, et partira peut être en voyage intersidéral à travers la classe.
Mais, il faut bien l’avouer, en quatre ans de collège le rapporteur servira rarement. Tout juste remplacera-t-il de temps à autre l’équerre et le compas, s’ils sont tous deux restés à la maison, pour construire d’imparfaits angles droits… D’où un certain désaveu, un certain dédain pour cet instrument. On le fourre au petit bonheur la chance dans le cartable ou on l’enfourne dans la trousse ; entre les livres mal ajustés ou les crayons il finira bien vite par se casser. Les élèves, infirmières improvisées, feront de tout un rouleau de scotch des atèles de fortune. Mais alors, le rapporteur bancal, non pas par vengeance, car l’âme du rapporteur est toute bonne volonté, commettra des erreurs dans ses mesures, au grand dam de l’élève.
Quand le professeur osera tancer l’enfant de la mauvaise qualité de son travail, ce dernier ravalera (ou pas) sa furieuse envie de dire : « je l’amène tous les jours depuis la rentrée. Jamais on en a eu besoin. Et maintenant qu’il est cassé, on dirait vous le faites exprès ! »
Le rapporteur honni pourra finir son existence, lancé par un discobole providentiel ; il disparaîtra dans la lumière dévoratrice du soleil couchant.
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© Louis Butin & cercle DPMC