Compas

Le compas appartient à la série des instruments de géométrie. Un élève manquant de cet élément indispensable à sa trousse serait dans l’impossibilité de tracer des cercles, des angles droits sans équerre, et de vérifier nombre de calculs et théorèmes dont les professeurs de mathématiques ont seuls la science. Mais, disons-le sans détour, si tout vient à manquer dans la trousse, jamais le compas ! La raison en est simple : voilà un instrument que l’on aime avoir en toute occasion, dans tous les cours.
Un élève sans compas est un élève ringard et faible, sans le moindre usage du monde, banni de ses camarades.
Si les sémiologues daignaient se pencher sur le cas du compas, ils conclueraient volontiers qu’il est un symbole de ruse. L’élève porteur de compas est un Sioux. Il peut écrire au crayon quand ce dernier fait défaut à son matériel, car le compas, comme chacun sait, s’appuie sur son crayon comme l’amputé sur sa jambe de bois. Les signaux de fumées ne sont plus autorisés depuis la Loi Evin, d’où un usage du compas étendu à la communication, non pas comme un sémaphore, mais ainsi que l’indigène d’Amérique pratiquait le signe à même la pierre : on écrit au compas sur les gommes, lorsqu’on est habile ; sur les tables, lorsqu’on est rebelle ou artiste.
Qu’on mesure à présent l’autre versant de la mythologie américaine du compas : le compas est aussi un symbole de force, car on peut le planter dans la cuisse du voisin ou le lancer, bien qu’il manque cruellement de précision, au visage d’un camarade. Sur l’Echelle de Violence du Projectile Scolaire (voir EVPS), le compas est noté 5, à l’égal de la paire de ciseaux. De sorte que le compas est à l’élève ce que le colt est au cow-boy, le tomahawk à l’indien et, pourquoi pas ?, le boomerang à l’aborigène ; d’ailleurs, n’en doutons-pas, on le porterait à la ceinture ou au pagne si cela n’était pas déconseillé dans le règlement intérieur !
Érigé, brutal, le compas est un objet phallique. L’élève industrieux tâchera de plier les baguettes du compas à 180°, quitte à le démembrer, pour le tendre en un bâton raide, menaçant.
On sait depuis Luis Buñuel et Salvador Dali que crever l’œil est un acte sexuel. En s’évertuant à crever l’œil d’un camarade, les chers élèves, dont les nuits sont des épreuves dignes de Saint-Antoine, ne font pas seulement que mettre en pratique la locution figurée « avoir le compas dans l’œil », mais réalisent, par le truchement de leur instrument, ce mystère de la chair qu’ils impatientent inlassablement. Du reste, lorsqu’on les prend sur le fait, n’ont-ils pas cet air compassé qui témoigne d’une gêne évidente ?

N.B. : L’élève, mal dans sa peau, qui ferait usage du compas pour éprouver son propre épiderme ou crever ses boutons d’acné tomberait dans un travers impardonnable.

 

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© Louis Butin & cercle DPMC